Les rêves éclaboussés
L'homme et son oeuvre
- " Bientôt nous serons tous assis sur les rives désertes, regardant couler le fleuve de la grande, de la très grande connerie humaine, que la haine fait couler depuis que l'homme a vu le jour."
( Tu sais quoi ?) - Michel Devillers
Est ce l'âge mur, ou une humanité à la dérive entraînant toute la planète dans des abîmes insoupçonnés ou encore l'impuissance de l'individu devant cette machinerie qui nous écrase, qui pousse l'artiste Michel Devillers à prendre sa palette ? Chose certaine : il puise autour de lui et avec sa sensibilité à fleur de peau, chaque pas le confronte à des images, des émotions profondes qu'il subit et ensuite l'obligent à hurler. La création est pour l'artiste un besoin vital.
Ses toiles deviennent son journal intime. Seul, dans l'intimité de son atelier, il se livre à ses états d’âme, qui s'imposent à lui.
Que dire d'autre que ce sont des moments ou il n'y a place pour rien d'autre. Sa vérité intérieure, et il n'y a que celle-là qui a de l'importance, apparaît sur la surface du support. Il crée quasiment en transe durant des heures.
Quand on regarde le chemin parcouru par Michel Devillers, on constate que la condition humaine a véhiculé son expression dès les balbutiements de son œuvre. N'oublions pas que Michel Devillers est un artiste pluridisciplinaire : poète, peintre et sculpteur.
Tout au long de son parcours, demeurant sincère et fidèle à sa vision, et ses principes, inlassable, il poursuit sa mission
Grand admirateur d’Honoré Daumier, Michel Devillers est attiré par les paumés et essaye de traduire l'âme d'une scène dans le seul regard d'un personnage.
Si au début de sa carrière ,la jeunesse lui donna la force de la révolte , très visible dans ses œuvres , et que les injustices et impunités omniprésentes dans ce monde le faisaient bondir, l'heure est arrivé où l'artiste se replie sur lui-même, tout en souffrant autant , mais avec plus de douceur et de poésie.
Du dessin et de la figuration il a glissé vers une certaine abstraction, à la recherche du sens de la vie. L'éclosion de la vie se trouve au centre de ses toiles symbolisée par l'œuf. Rapprochons-nous de l’essentiel, source de renouveau ! Respectons les lois de la nature, source de notre passage sur terre. Inconsciemment Michel Devillers s'associe aux mythes fondateurs des peuples d’origine. D'ailleurs ce thème l'a toujours passionné ainsi que la lutte de ces peuples contre la désacralisation de la terre, notre nourrice originelle.
La plupart des cultures de la Polynésie à l'Afrique font référence à l'œuf quand il s'agit de penser ou expliquer la création. L'œuf est le germe du monde et lorsqu’il se brise se forment le ciel et la terre. Le monde tel qu'il est hiérarchisé comprend le monde inférieur ou le terrestre et le monde supérieur ou le monde éthéré.
L'œuf succède en général au chaos et signifie le premier principe d'organisation. L'œuf apparaît également comme un des symboles de la rénovation périodique de la nature. Selon Mircea Eliade les rituels mystiques liés à la naissance et la renaissance ont une signification profonde et actualisent l'idée de la répétition cyclique et ainsi le mythe nous rapproche d'une croyance spirituelle : l'œuf étant une puissance créatrice promeut en quelque sorte la résurrection.
Aujourd'hui dans notre culture agressive de l'information et de l’image, l'humanité se transforme en une masse passive croyant que le bonheur réside dans l'accumulation de biens ou le profit et rien que le profit polarise toutes les énergies. Toutes ces tentations commerciales sont basées sur l'illusion ou un rêve trompeur, mensonger. Le besoin réel que porte l'homme en soi correspond à toute autre chose.
Qui a encore le temps de réfléchir sur le sens de la vie ?
Ici l'artiste intervient.
Faut-il naître dans ce monde ? - l’œuvre de Michel Devillers et la question interpelleront toujours ; et la réponse reste plus qu’incertaine.
La vie est une épreuve si dure. On comprend l'errance de l'artiste à travers ses toiles, à la recherche dans l'immensité d'une lueur d'espérance. Issue du néant quelle sera la finalité de notre humanité ?
Devant la dégradation l'homme pourrait facilement trouver refuge dans "la lumière d'en haut" selon les paroles de l'artiste. Mais la solution ne se trouve pas là-haut.
Chacune de ses toiles exprime un paradoxe : la vie est présente, au delà de la souffrance, de la fragilisation, de l’esclavage, du mal et de l’agonie. Tel Orphée dans son tourment, Michel Devillers dénonce la société qui fait naître des humains programmés à s'entre-tuer.
L'homme est la seule créature pouvant engendrer le mal, et inversement le seul à se sentir fasciné par la beauté. Et le moment le plus beau de chaque instant réside dans le commencement. La nature en perpétuel mouvement, après le sommeil de l’hiver, l'aube d'un matin au printemps ; la semence qui germe, chaque matin apporte de la splendeur ; naître est la confirmation de notre existence.
Les cris de vérité des jeunes et leurs appels spontanés vers le bien au milieu d'angoisses laissent entrevoir par moment le fond du cœur des hommes. Cette soif de vérité a quelquefois des effets très négatifs : la violence aveugle surgit de partout, provoquée par le désespoir d'une jeunesse sans perspectives d’avenir. Il s'agit là d’un phénomène de notre quotidien actuel. Notre monde réclame plus que jamais une réflexion philosophique renouvelée.
L'œuvre de Michel Devillers est avant tout une œuvre réflexive poétique sur fond de "spleens" profonds.
Devant l’impossibilité d'atteindre le bonheur absolu, l'artiste suggère sa méthode, c'est de poser un regard pur sur les choses et les êtres, sans calcul, sans préjugés, un regard tolérant car la tolérance est la première des qualités.
"Regarde avec l'œil de ton cœur " est le leitmotiv de l'œuvre de Michel Devillers et sa ligne de force absolue.
Toi pour qui le profit est seule ligne de vie,
Si tu étais moins idiot, moins aveugle,
De ces enfants que tu assassines, tu aurais appris le respect de l’équilibre de ce monde, le respect de la vie universelle, que tu massacres pour des billets verts, que tu accumules, juste pour le pouvoir qu’ils te procurent, sans te soucier du seul héritage authentique qu’il est important que tu laisses derrière ta misérable vie de spéculateur, égoïste sans conscience. - Michel Devillers
Le langage de l'Artiste :
- L’art, ça se fait, ça se donne comme l'amour avec le cœur d'abord.- Michel Devillers. (Tu sais quoi ?)
Charger sa création d'une signification symbolique susceptible d'être partagée par d'autres personnes, n'est pas une tâche aisée.
L'artiste y est parvenu après maintes interrogations et tentatives. Le figuratif expressionniste parle directement et nul besoin d'explications .Mais l'artiste se devait d'évoluer, le désir du renouvellement était devenu une angoisse. Le grand changement eut lieu en 2007 où il expose pour la première fois une série d'œuvres où l'essentiel ou l'indispensable devient symbole et signifient pour l'artiste un passage vers la liberté créative.
Michel Devillers procède par un espace extrêmement suggestif, en utilisant les couleurs comme expression de son état d'âme. Par le choix de la texture de la peinture et une composition cérébrale focalisant le regard du spectateur vers la référence principale il accomplit ainsi sa gestuelle intérieure. Dessinateur très sûr de sa main, sensible aux nuances des choses, il peint dans des gammes de tons sourds, provoquant un sentiment d’atemporel. Par moment ce sont les couleurs du "spleen" ou du "blues" qui extériorisent le mal-être de l'artiste. Il y a beaucoup de bleu dans son œuvre actuel. Mais la nostalgie se fond dans des tonalités de tendresse, de sérénité ; avec au bout une lueur de régénérescence, une ouverture vers la vie. Il joue souvent entre l'opposition entre les couleurs, les tracés fougueux, les pleins et les vides (les symboles), des signes, des tâches éveillant une émersion d'images enfouis dans la mémoire comme des reliques. L'utilisation de diverses techniques mixtes du lisse au granuleux accentuent les lignes de force de la toile. Rien n'est laissé au hasard. Michel Devillers procède avec beaucoup de rigueur. Tout le contraire d'un Jackson Pollock, Michel Devillers construit son œuvre, la composition de l'œuvre s'accompagne toujours d'une solide structure. Sa façon d'exprimer la pensée par une image évocatrice fait parler sa peinture à travers de métaphores, qui n'est rien d'autre qu'une construction de sens.
Il n'hésite pas à effacer une toile et de la recommencer si le résultat ne répond pas à son attente et son élan créatif.
Michel Devillers, qui s'était lié d'amitié avec Leo Ferré aime peindre en écoutant sa musique. Il se laisse envahir par l'esprit Ferré, ses paroles, sa voix. "L'art c'est les larmes"-disait Léo Ferré . Personne d’autre n’a peint Ferré d'une façon aussi émouvante que Michel Devillers.
L'œuvre de Michel Devillers nous permet dans l'instant où le regard est silence, de nous orienter vers la véritable finalité humaine.
Un talent naturel et un travail ardu
Autodidacte, d'un talent naturel et magistral de dessinateur, dès son jeune âge Michel Devillers s'intéresse au sort des petits gens. Né à Tournai, il vient étudier à l'école St Luc où il apprend les métiers de graphisme, de sérigraphie et du dessin publicitaire. Il travaille comme décorateur mais n'oublie pas sa passion. Pour la création de ses sculptures en céramique il travaille à l'Académie des Beaux-arts de Watermael Boitsfort. Michel Devillers est ouvert à toutes les techniques et expressions artistiques y inclus l'écriture et la poésie et multiplie ses contacts dans le milieu artistique. Il ne cesse d'exposer régulièrement depuis 1987 en Belgique mais aussi à l'étranger et notamment en France et en Italie où il a des œuvres dans le musée de la sculpture de Frégene (Rome).
En 1986 il participe à la restauration du plafond du Théâtre de la Monnaie.
La rencontre avec Madame Olbrechts, veuve de Frans Olbrechts et Conservateur du Musée d'Afrique de Tervuren, lors d'une exposition à la Galerie " Centre Rops " lui fut très bénéfique. Frans Olbrechts était anthropologue et collectionnait des œuvres d'art afriquin. Madame Olbrechts était fasciné par l'œuvre de Michel Devillers et devint son principal mécène. En gratitude pour son soutien, il lui dédicace son premier recueil de poésies, illustré de ses propres dessins. "Tu sais quoi».
En tant qu' illustrateur dessinateur il s'associe avec le poète Espagnol , Nemesio Sanchez, dans un bel ouvrage bilingue intitulé "Cuerpos - Des Corps" édité par les Editions Jacques Flament , œuvre que Joseph Bodson qualifie de "recueil somptueusement présenté avec des illustrations très suggestives de Michel Devillers"
Béatrix Delvaux