Etre faits de terre
Depuis l’époque des anciens potiers mayas, en passant par celle des japonais du 1er siècle de notre ère, jusqu’à nos jours, la poterie s’est mise souvent au service de la mort , des croyances dans l’au-delà, ou….de la vie, si nous pensons à l’abolition de la pratique « junshi »-devoir pour les serfs et les chevaux d’accompagner leurs seigneurs nobles jusqu’à leur tombe même.
Dans la céramique de Michel Devillers existe aussi la mort , non que la première soit au service de la deuxième, mais que ce concept de mort, l’artiste l’utilise pour nous conscientiser du fait que nous vivons. Et cela- selon lui -sous la surveillance de l’âme universelle- conscience du monde- représentée par des personnages de toutes races et rangs qui vécurent avant nous, démiurges- dans un certain sens – qui suivent et veillent avec des yeux tout-puissants chacun de nos actes ; avec des expressions diverses de leurs bouches, ils semblent attirer notre attention, nous rappeler les lois à suivre, la morale à laquelle nous tenir.
Devillers a trouvé dans l’élément « terre » son moyen d’expression. Par le biais de lumières et d’ombres – obtenues par une technique qui lui est propre-, il nous prend par la main, poétiquement, vers un monde de rêverie : des fois avec angoisse, d’autres avec ironie ou l’euphorie triste d’un clown, miroir de ce que fût notre vie antérieure, ou de ce qu’elle est actuellement ; états d’âme, expressions visuelles, fruit des multiples actions que la personne humaine est capable d’engendrer dans son existence. Ceci pourrait être considéré comme contradictoire, si nous nous limitons à la vision du statisme physique de ses céramiques -sculptures. Mais non ; les visages cadavériques de celles-ci, vivent -souffrent et jouissent- ; vivent depuis des milliers d’années, comme vivent ces mains de la conscience qui les modelèrent. Et elles vivent comme l’âme universelle de l’artiste qui donna vie au jute et aux objets religieux ou profanes –transformés en suaires mortuaires- qui les ensorcellent ;autrefois, ceux-ci furent condamnés à l’oubli de notre société, à la mort , dans le cimetière d’un marché aux puces du bout du monde.
Quelle signification pourrait avoir cette espèce d’embaumement ?
Aucune préconçue, selon l’artiste - même. Mais, dans toute vraie création, le mental travaille inconsciemment, et met de l’ordre dans l’univers du créateur, laissant de l’espace aux ailes du spectateur pour entrer et voler dans le monde du songe qu’il nous propose. Et ici Michel Devillers réussit ; il nous amène loin dans le temps et dans l’espace : nous ne savons pas si nous sommes au Ve siècle avant J.C., ou si nous sommes au XXe, si nous nous trouvons en Afrique, ou en Amérique latine, avec des créatures qui semblent être sorties du ventre des Andes et nourries par la maternelle Pacha Mama.
Son œuvre se lit comme peut se lire un rêve, entre la réalité et le mystère –toujours loin de l’hermétisme, de l’abstraction. C’est le mysticisme qui peut nous faire entrer dans l’âme universelle cachée dans nos corps, sous l’apparence de terre cuite ; non seulement dans le sens de la tradition qui veut que nous soyons créés de cette manière, mais sur base du fait de notre propre sentiment : d’être modelés en terre fragile , pouvant nous briser à la seule pensée du destin.
Nemesio SANCHEZ
Trad. : Coleen DUFFY& N.S.